Turquie réflexions sur le monde et anecdotes de voyage - août 2006
1000 km de vélo en trois semaines dans l'Est de la Turquie. Beaucoup de montagnes (jusqu'à 2600m d'altitude), beaucoup de route, des Kurdes très accueillants, des yeux bleux alors que la frontière iranienne n'est pas si loin. Ce voyage m'a fait réfléchir sur le monde.
Ci-dessous 3 réflexions/anecdotes tirées d'e-mails écrits pendant le voyage:
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Une premiere histoire : la nuit de samedi a dimanche j'ai dormi dans une station service gérée par un Kurde. Gentil le Kurde. Il me dit "ok dors ici". Cool, je reste.
Je suis arrivé vers 17h. Il est 19h40, je suis poli mais je commence à avoir la dalle de chez dalle apres 70 bornes de vélo dans la journée. Alors au bout d un moment je pose la question :
moi : "manger, quand ?"
lui : "manger, y a pas"
moi : "??!"
moi : "bicyclette, moi, manger"
Je propose évidemment de partager mon repas mais il refuse.
Donc j’ai bouffe du pain devant lui. Et là tu te poses quand même des questions :
- Est-ce qu il a l’habitude de ne pas manger le soir ?
- Est-ce vraiment parce qu’il est pauvre qu’il ne veut pas manger (pourtant il tient une station service et un mini magasin de bouffe ms personne ne vient) ?
- A-t-il refusé parce qu'ils ne veulent pas avoir faim le lendemain à la même heure ?
- Combien de fois mange-t-il par jour ?
Je prends conscience du monde, pas seulement du monde occidental.
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Une autre réflexion : On s'habitue à tout.
Je m'habitue à faire plein de velo meme s'il fait chaud et que ca monte, on s'habitue aussi à ne pas manger le soir.
On s'habitue à être riche : c'est dommage parce que si on nous enlève un privilège (soyons-en conscients on est tous des privilegiés par rapport à ici) on sera malheureux. Mais juste un moment. Au bout d’un certain temps on pourra s’habituer à ce qu’on nous a enlevé. Exemple : l’eau courante. Si demain on vous la coupe ca va etre top relou. Si on te dit que tu n’auras plus jamais d’eau courante de ta vie au bout de qq mois tu seras habitué et tu seras heureux.
On s'habitue à être pauvre. Ce matin j’etais dans un village super pauvre. Une des filles avait un bout de chaussure en caoutchouc sur UN pied. Pourtant elle avait l’air heureuse quand je l’ai vu.
Jusque là ok. Mais y a encore un truc : on s habitue aussi au fait d'être riche alors que d’autres sont pauvres. Moi aussi bien sur. Ca me gêne d'y penser mais je m'y suis habitue.
En même temps comment lutter efficacement contre les inégalités et la pauvrete ? Pas avec de l'humanitaire d'urgence qui malgré sa bonne intention ne résout pas le problème de fond. Je pense que la solution c’est l'éducation.
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Hier soir j’arrive dans une ville de Muradiye, 20000 hab. Je pense trouver un hôtel mais y a pas. Un habitant m'invite chez lui. C'est ma premiere expérience chez l'habitant en Turquie.
Mon hôte est kurde et musulman. Son boulot c'est réparer des montres. Il parle 5 langues (turc, kurde, arabe, farsi - la langue iranienne - et syrien) mais pas anglais. J’ai mon petit dico anglais - turc qui va nous aider.
Je suis francais. Ca va, ça lui plaît beaucoup. Il m’a énuméré une dizaine de pays en me disant si c'etait un bon pays. En gros :
Georges Bush : No !
Fransa : Good !
Ingleterra : No ! (parce qu'ils st potes avec les US)
Alemana : Good !
Sadam Hussein : No ! (c’est normal car il a tué plein de Kurdes)
Turcs : No ! (ben oui les Turcs ne laissent pas l’independance aux Kurdes)
PKK : Good !
Je suis athée. Il me dit 5 fois qu’il est musulman et me regarde avec un air interrogatif. Alors je dis que "non, moi pas musulman" mais je n’en dis pas plus. Je sens que je vais pas avoir le choix. Il me demande "christian ?" oui, ben oui, je peux pas dire non parce que sinon je sais pas ou ça va me mener. Faisons lui plaisir, après tout je suis invité...
Je suis ingénieur. Ca je pourrai le dire mais c'est pas idéal. Que foutrait un ingénieur sur un vélo au Kurdistan ? Non, je suis tout simplement étudiant, et puis un étudiant c'est sympa par définition. Depuis le départ tout le monde me demande si je suis étudiant. Rien de plus facile que de dire oui.
Voila mon hôte m'a cerné, mon profil, "francais-étudiant-chrétien", lui plaît. C'est l'heure de bouffer. Donc oui, certains Kurdes mangent le soir. Je suis assis face à lui par terre dans le salon. La télé est allumée et diffuse des images d'infos, de défilés de mode (à l'européenne, je précise) ou des clips. La femme, voilée, a préparé le dîner. Mon hôte et moi n'avons strictement rien foutu et le chef de famille n'hésite pas à engueuler sa femme quand il a fait une tache sur son pantalon parce que la serviette ne vient pas assez vite. C'est très confortable d'être un homme ici. Le dîner fut bon et on n'a rien debarrassé.
Le chef de famille est un chef et pas un membre. Par exemple, les enfants se font engueuler sévère quand un truc ne va pas. Je comprends maintenant pourquoi les petits de 12 ans qui gardent un troupeau sans leurs parents le long des routes font leurs fiers et parfois me font chier (typiquement quand je veux repartir ils s’accrochent à mon velo). Maintenant j’ai compris. Quand un petit me demande de m'arrêter c'est pour s'amuser donc je ne m'arrête pas. S'il ne demande rien, je suis susceptible de m'arrêter dire bonjour ou prendre une photo.
Autre chose intéressante : apres le dîner, c'est l'heure du thé. Il m'en sert 3 de suite et après j'arrête. Lui, il alterne entre les thés et une drogue dont il avale la fumée quand elle se consume (ca ne se fume pas ms ca pourrait). Il va prendre au moins 10 thés avec autant de sucre. Peut-etre une explication de pourquoi il y a pas mal de gros ici. Quant à sa drogue : il m'explique avec la meilleure conscience du monde que c'est une drogue faite à base de plante, que c'est bien meilleur que la cigarette. En même temps il m'explique qu'il ne boit pas d'alcool puisqu'il est musulman. Ah oui, avant le dîner, il a fait sa prière avec le paquet de cigarettes sur son tapis.
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Photos © Matthieu Marquenet marquenm@hotmail.com
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